Témoignage :

C’est seulement hier que j’ai compris dans quelle pièce je jouais.

Depuis quelques années, je faisais partie d’une équipe qui assurait l’animation religieuse dans une maison de repos à Ottignies. On se faisait discrets, souriants, on savait que les résidents étaient heureux de notre activité, et du coup le personnel de la maison nous regardait d’un œil prudemment favorable : neutralité religieuse oblige.

Comme un aérolithe, le confinement nous est tombé sur la tête. Plus de visites, les résidents sont bouclés en chambre, le téléphone ne fonctionne qu’avec certains d’entre eux. On en est réduits à envoyer des cartes postales comme des bouteilles à la mer. Un gros voile noir s’étend sur tout.

Un jour, la Directrice nous lance un appel : il s’agissait d’assurer l’accueil des visiteurs auprès des résidents. La quarantaine a progressivement relâché son étreinte, relayée par de multiples précautions sanitaires qui imposent un surcroît de travail au personnel : désinfections à tour de bras, masques à longueur de journée, repas en chambre…Nous serions commis au filtrage des visiteurs : papiers pour le traçage, prise de température, réception de colis. La plupart des membres de l’équipe sont d’une santé fragile et refusent de prendre le risque. Je fais partie de ceux qui relèvent le défi. Surprise ! Le personnel nous  accueille fraternellement comme si on faisait partie de l’encadrement depuis toujours. Une chanson d’étudiants m’est revenue à la mémoire : « Il est des nôtres, il a bu son verre comme les autres ! » Il suffit de dire : »Je suis à l’accueil » pour sentir toutes les prudences s’évanouir. Les grandes tapes dans le  dos ne sont pas loin.

C’est seulement hier que j’ai compris. On relatait à la télévision la déréliction dans laquelle les maisons de repos se sont trouvées au tout début de l’épidémie : incapacité des autorités sanitaires à fournir le matériel indispensable, refus des hôpitaux d’accueillir les malades des maisons de repos pour éviter la saturation. « Si les envoyez, on ne les soignera pas !  Débrouillez-vous avec du paracétamol et de la morphine ! « . La solidarité a joué entre hôpitaux, pas entre hôpitaux et maisons de repos. Le personnel  des maisons s’est trouvé dans un abandon total, craignant pour les résidents, pour lui-même, et pour sa famille. Pour peu qu’on soit attaché aux personnes qu’on soigne chaque jour, comment ne pas être révolté ?

En entendant ces échos de l’enquête des parlementaires, j’ai mieux compris pourquoi notre minuscule apport a reçu un tel accueil. Quelqu’un nous a tendu la main ! Peut-être une quenotte de bébé, mais il n’en fallait pas plus pour retrouver courage.

De mon côté, j’ai eu peu de contact avec les visiteurs. Ils ne viennent pas pour moi, et le temps que je leur prends rogne sur la durée de la visite. Et les rencontres que moi je pouvais avoir avec les résidents durant mes temps libres étaient hachées en trop petits morceaux. J’ai rendu service à l’aveuglette. La lumière s’est faite après.

Depuis bien longtemps , quand j’entends la parabole du jugement dernier, j’ai la tentation de cocher les cases : « J’avais faim et… » OK, j’ai fait ! – « J’étais malade et… » OK ! – Il en restait une désespérément vierge : « J’étais en prison… »

 Ouf ! J’y suis parvenu !

J-L

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